Le fisc peut-il rentrer dans mon bureau ou chez moi ?
Uniques en Belgique, les Cafés-Conseils vous offrent des formations de qualité sur les dernières actualités comptables. Désormais, découvrez également des cartes blanches exclusives rédigées par nos orateurs Cafés-Conseils. Ce mois-ci, découvrez l’analyse de Thierry Litannie et Roland Rosoux sur les visites fiscales.
Pour les locaux professionnels, les règles de base sont que le contribuable est tenu d’accorder aux agents de l’administration fiscale chargée de l’établissement des impôts sur les revenus, munis de leur commission et chargés d’effectuer un contrôle ou une enquête se rapportant à l’application de l’impôt sur les revenus ou de la TVA, le libre accès aux locaux de l’entreprise, à toutes les heures où une activité quelconque s’y exerce (ne serait-ce que la tenue de la comptabilité, est exercée dans ces locaux, même en dehors des heures normales de travail). Les locaux professionnels doivent s’entendre de manière fort large (les locaux eux-mêmes bien sûr mais aussi les chantiers, véhicules, conteneur de déchets, coffre-fort ou coffre bancaire d’une entreprise, etc.).
Cette obligation du contribuable de donner l’accès à ses locaux professionnels s’accompagne toutefois du droit de refuser l’accès si la visite risque de dépasser certaines limites juridiques.
Au grand dam de certains contrôleurs, la Cour d’appel de Bruxelles a confirmé que le droit d’accès de l’administration n’est toutefois pas un droit de perquisition tel qu’il existe en droit pénal (Bruxelles, 16 octobre 2019).
La finalité d’une visite fiscale et d’une perquisition criminelle est fondamentalement différente : les agents chargés du contrôle disposent d’un pouvoir d’investigation administrative qui est lié à un objectif qui ne peut être exercé qu’en vue de déterminer la régularité de la déclaration fiscale à l’impôt sur les revenus ou en matière de TVA (ou une enquête en vue du recouvrement ou réclamation). Les agents chargés du contrôle fiscal n’ont aucun pouvoir d’enquête judiciaire.
Ils peuvent toutefois porter à la connaissance des autorités judiciaires, dans les conditions prévues par la loi, les faits pénalement punissables aux termes des lois fiscales et des arrêtés pris pour leur exécution dont ils ont eu connaissance. Il appartient à ces autorités d’apprécier les suites qu’il convient d’y donner.
Il ne doit pas y avoir de présomption de fraude pour justifier une visite fiscale. Dès lors qu’il s’avère qu’une telle visite est nécessaire pour déterminer le montant des revenus imposables du contribuable, il est raisonnable de penser qu’aucune donnée privée ne peut donc être emportée, étant donné que ce ne sont pas des documents susceptibles de démontrer le caractère exigible des impôts.
Mais entre les grands principes et leur respect par les administrations, il y a malheureusement parfois un pas, et notamment quant à savoir si le droit de visite en matière fiscale implique également un droit actif de perquisition.
Une réponse affirmative aurait pour conséquence que les contrôleurs pourraient, au cours d’une visite sur place, ouvrir eux-mêmes les armoires, les tiroirs et les systèmes informatiques afin d’emporter des documents.
C’est l’avis du fisc qui est suivi en cela par une certaine jurisprudence. Mais ce n’est pas celui d’une doctrine largement majoritaire.
En ce qui concerne spécifiquement les systèmes informatiques, cela implique que l’administration ne pourrait donc pas examiner les systèmes informatiques de sa propre initiative. Bref, les contrôleurs ne peuvent pas copier ces fichiers informatiques du contribuable sans la collaboration de celui-ci.
La Cour constitutionnelle, qui n’est plus à l’abri de dire de grosses bêtises, considère que la visite fiscale en matière d’impôts sur les revenus et de TVA s’accompagne de garanties suffisantes contre les abus. Un contrôle juridictionnel (forcément a posteriori) effectif de la régularité d’une visite fiscale et de la preuve obtenue est toujours possible. La Cour décide notamment qu’une interprétation pleine de sens de l’obligation de collaboration du contribuable requiert que l’administration fiscale ne soit pas tributaire du choix du contribuable de déterminer quels documents il permet de consulter et que le contribuable est également tenu de coopérer afin d’ouvrir, par exemple, des armoires ou coffres fermés.
Mais la législation fiscale n’autorise pas les fonctionnaires fiscaux à exiger la consultation des livres et documents si le contribuable s’y oppose. Si le législateur avait visé une telle possibilité de forcer le contribuable, il aurait dû le prévoir expressément et décrire précisément les conditions de cette intervention, ce qui n’est pas le cas.
Se prononçant sur la notion de « libre accès », la Cour d’appel de Bruxelles a estimé que, s’agissant de la TVA (mais également en matière d’impôts sur les revenus), il n’est nulle part précisé que le contribuable, ou une personne pouvant le représenter, doit être présent au moment du contrôle. Selon la Cour, le Code de la TVA ne prévoit pas non plus d’autorisation préalable.
Selon la Cour, l’octroi du « libre » accès implique de facto qu’aucune autorisation n’est requise : les fonctionnaires contrôleurs ont d’office accès aux locaux professionnels. Parce que les dispositions du droit fiscal doivent être interprétées strictement, la Cour estime que la loi ne soumet pas le contrôle à une quelconque autorisation du contribuable concerné.
Mais toutes les décisions en ce sens ont été retoquées par la Cour de cassation qui a récemment souligné la nécessité du consentement (continu) du contribuable, qui peut être retiré à tout moment, y compris durant la visite (Cass., 16 juin 2023 et 6 octobre 2023).
Voilà en gros pour les locaux professionnels. Mais la loi donne également accès à l’administration fiscale à tout autre lieu où des activités sont effectuées ou sont présumées être effectuées.
En l’occurrence, présumer c’est pouvoir raisonnablement tenir pour certain, sur la base de présomptions graves, précises et concordantes que l’occupant du bien se livre à une activité professionnelle non déclarée (le nouveau Code civil a abandonné cette expression et exige à présent seulement que s’il y a plusieurs indices, ils doivent être concordants).
Le commentaire administratif rappelle aux agents du fisc que la possibilité d’accès aux bâtiments et locaux habités ne sera utilisée que dans des cas exceptionnels et avec l’accord de l’autorité hiérarchique (Com.I.R. 319/11). Les cas exceptionnels visés en l’occurrence sont ceux pour lesquels il existe des motifs sérieux de présumer qu’un « travail au noir » est effectué dans une habitation.
Les visites domiciliaires effectuées par le fisc sont subordonnées au respect de 3 conditions :
- les agents du fisc doivent être munis de leur commission ;
- un horaire strict doit être respecté (les contrôleurs ne peuvent pénétrer dans les bâtiments ou les locaux habités que de cinq heures du matin à neuf heures du soir) ;
- la visite doit être préalablement autorisée par le pouvoir judiciaire, en l’occurrence le juge de Police.
Le jugement du tribunal de police doit être motivé. En effet, cette motivation est nécessaire pour permettre a posteriori un débat contradictoire devant le juge concernant la régularité et la proportionnalité de la visite.
Toutefois, la Cour de cassation a décidé que cette obligation de motiver les jugements ne constituait qu’une règle de forme. L’insuffisance de motivation n’entraîne pas nécessairement l’invalidité de la cotisation, car le juge fiscal doit d’abord vérifier si les critères de la doctrine Antigone sont remplis ou non (la doctrine Antigone vise les conditions que le juge doit vérifier dans le cas où le fisc a utilisé des données obtenues de manière illicite).
Une fois entrés dans le respect des règles, les agents du fisc sont autorisés à chercher activement dans les locaux eux-mêmes ce qu’ils considèrent comme pertinent pour l’enquête, sans toutefois avoir le droit de forcer des armoires fermées ou des coffres, ni de manipuler le matériel informatique du contribuable sans son accord explicite.
Lorsqu’il apparaît qu’au cours d’une visite sur place dans une habitation privée, l’administration ne souhaite pas seulement demander la production de livres et de documents, mais veut également, par la même occasion, vérifier sur place la nature et l’importance des activités, il lui faut une autorisation du tribunal de police. À défaut, l’impôt établi sur la base des informations collectées à cette occasion est nul.
Si l’administration était consciente qu’elle pénétrait dans un lieu habité, elle devait obtenir préalablement l’autorisation du juge de police.
Relevons encore que lorsque des fonctionnaires fiscaux procèdent, dans le cadre de leur droit de visite, à la visite sur place d’un bureau en vue d’y examiner les documents comptables d’un contribuable et qu’ils constatent de manière inattendue que le bureau héberge également les documents comptables d’un autre contribuable, ils ne peuvent décider sur place d’étendre leur droit de visite aux documents de cet autre contribuable. Bon à savoir.
Thierry Litannie et Roland Rosoux
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